Vendredi 4 novembre 2011

Réponse à Roland Hureaux:


Merci de m'avoir adressé l'"Appel à tous les gaullistes, républicains et patriotes au devoir de rester nous-mêmes". Bien entendu, j'en partage toutes les inquiétudes; bien entendu, je refuse avec toi l'idée de quelque "fusion" que ce soit -mais pourquoi utiliser ce mot, qui n'est nullement dans mes intentions ? Et, bien entendu, il n'est pas question que nous soyons autres que nous-mêmes, le voudrions nous seulement : nul ne se change, tu le sais -et, d'ailleurs, pour toi comme pour moi, c'est une bonne chose… A mon tour, j'invite chacun à rester soi-même; et j'invite notamment les gaullistes à le rester -c'est à dire à partager leur héritage, et surtout, à agir. De ce point de vue, j'aimerais faire deux objections au texte de cet appel, qui, on ne peut le comprendre autrement, revient en réalité à un appel à ne pas soutenir Marine le Pen, et que j'ai lu de près.

D'abord, je ne crois pas très raisonnable de présenter le gaullisme comme le patrimoine de quelques signataires d'un appel -car vous vous plaignez bel et bien, dans le deuxième alinéa, que des "entités", selon votre mot, "reprennent une partie de notre patrimoine". Sic ! L'héritage du Général de Gaulle, tu le sais bien, n'est pas une propriété privée dont, parce qu'ils l'apprécient, des occupants de passage pourraient invoquer quelque droit exclusif à la défendre, la présentant comme "notre patrimoine" pour se plaindre que d'autres en "reprennent" une partie. Tu sais bien que cette conception est exactement contraire aux vues du Général, lequel a répété cent fois que le gaullisme n'appartenait à personne en particulier, allant jusqu'à dire que "Tout Français a été, est ou sera gaulliste" : phrase d'une grande actualité, d'ailleurs, car je vois en effet autour de moi ces temps-ci bien des convertis, auxquels il serait étrange de jeter la pierre - Marine le Pen, et d'autres personnages importants de son entourage, dont son directeur stratégique de campagne, Florian Philippot, jeune gaulliste de bonne souche, ne se contentent pas d'invoquer le général de Gaulle, et relèvent nombre des ses thèmes cardinaux, à commencer par la légitimité populaire, l'autorité de l'Etat opposée aux féodalités de tous ordres, notamment les banques, la liberté des nations opposée à la mondialisation impériale, et je crois même, après avoir côtoyé Philippe de Villiers, revenir avec eux vers un gaullisme plus social, qui ne se veut ni de droite ni de gauche, comme Marine le Pen l'a dit elle-même, à l'instar du Général…

Oui, tout Français a été, est ou sera gaulliste :  phrase très actuelle mais aussi d'une grande profondeur car le Général entendait rappeler par ces mots qu'il n'avait fait que relever la politique immémoriale de la France et que, tôt ou tard, chaque Français pouvait à travers lui la retrouver. C'est bien ici d'ailleurs le plus grave de l'exclusivité que toi et tes quatre amis revendiquez : nous sommes les héritiers d'un héritier, et cet héritage, dont il a écrit qu'il venait "du fond des ages" est celui de toute l'histoire de France, conséquemment de tout Français. Seriez-vous ses seuls héritiers ? Est-ce votre patrimoine, dont vous décideriez qui et qui ne peut pas le reprendre ? Ce serait beaucoup ! Vous pouvez certes l'invoquer, et je le peux aussi, avec quelque droit me semble-t-il, et d'autres encore : mais notre Histoire n'a pas désigné d'héritier particulier, et sans doute préfère-t-elle, à ceux qui mettent à la cape, ceux qui se battent.

C'est ici, mon cher Roland, ma seconde objection : tu écris qu'être minoritaire n'est pas un déshonneur. Certes, mais seulement si l'on a le courage, et les moyens, outre de résister de résister par internet et par téléphone, d'œuvrer pour devenir majoritaires dans la Nation -ce que je fais, auprès d'une candidate en qui j'ai confiance, et qui a l'immense avantage de parler au peuple et d'être écoutée de lui (ce à quoi nous ne parvenons ni l'un ni l'autre); je ne peux de toutes façons penser que la résistance consiste à ne rien faire et à attendre on ne sait quel renversement naturel du cours des choses -du type "Français, ne vous mêlez pas de ce qui se passe", sorti tu sais de quelle bouche… Cela est inconcevable dans l'absolu (le général, militaire et homme d'action,  a même objecté à la Bible : "Au début était le verbe ? Non, au début était l'action!") et serait plus inconcevable encore dans la conjoncture dramatique de ces mois-ci, conjoncture de surcroît électorale, au cours de laquelle j'espère vivement, sachant ce que je sais de toi et à quelle hauteur tu entends te placer, que tu ne cantonneras pas ton "inactivité" à une campagne contre Marine le Pen, ni ta résistance à ce qu'elle dit -ou à l'attrait que ce qu'elle dit remue en toi-même, car, si je ne sais pas très bien à qui s'adresse cet appel, je crois deviner qu'il s'adresse d'abord, selon un procès inconscient que nous connaissons tous, à ses signataires eux-mêmes : vous appelez à l'aide, c'est assez net, pour résister à un charme qui vous séduit…

Certes, je ne te compare pas, rassures-toi, à Ulysse se faisant attacher au mat pour résister à l'appel des Sirène ! Je voudrais plutôt insister sur un dernier point, sans doute le principal de ce que j'ai à te dire : je ne crois pas que l'installation dans la "résistance minoritaire" soit une politique; je crois même que seule une politique est une véritable résistance. En d'autres termes, je vois d'abord l'héritage gaulliste comme une œuvre politique dans les deux acceptions de ce mot : d'abord la volonté de prendre, ou de restaurer le pouvoir légitime (objet du Rassemblement de Londres qui, pour hétéroclite qu'il fût, entendait devenir un Gouvernement, comme ce fut aussi l'objet du RPF, auquel l'actuel rassemblent en train de se constituer me fait souvent penser ) ;  ensuite la volonté de l'exercer pleinement. Il faut savoir prendre ou, comme disait Boutang d'une formule qui va loin, "reprendre" le Pouvoir, et savoir faire ce qu'il faut pour y parvenir et accéder enfin aux responsabilités -je veux dire,au gouvernement de la France ce que nos agitations en petit cercle nous ont fait perdre de vue. Rien de moins contraire au gaullisme que ces agitations; rien de plus contraire à l'action que l'activisme, surtout si son horizon est limité à une escouade de convaincus. Il faut que nous gouvernions un jour, et sans tarder, c'est la seule résistance qui compte.

La seule authentique résistance au mondialisme marchand qui dissout sous nos yeux les  peuples, les nations et les civilisations, est de conduire à la face du monde la très vieille et très jeune politique de la France, quand bien même scandalise-t-elle les cours d'Europe, le conforts des empires et la bien-pensance anti-fasciste -laquelle, soit dit en passant, fut souvent opposée au Général : en 1941 déjà (Kérillis : "de Gaulle Dictateur"), puis en 1945 par les partis du Système; en 1947, encore en 47, quand le Général lança le RPF ( souvent décrit comme "parti social fasciste" ou encore comme "ligue d'extrème-droite…); mais aussi en 1958 ("le fascisme ne passera pas"), et pour finir en 1968… Une bien-pensance que tu connais assez pour ne pas l'entonner à ton tour -comme je te conseille de ne pas trop manier non plus les étiquettes ("gaullistes, républicains, patriotes", c'est beaucoup…), ce qui revient trop souvent à instaurer un tribunal de pureté idéologique où se perdent sans fin les meilleurs esprits, dogmatiques pour le plaisir des mots, sectaires par légèreté ou mondanité paresseuse, intransigeants avec leurs dogmes parce qu'ils ne mesurent pas l'épaisseur et l'urgence des drames qui les entourent et qui, loin de leurs mains blanches, se jouent sans eux. Mon cher Roland, sortons des réflexes de pensée que la mondialisation a imposés aux peuples pour les endormir, et qu'elle ne pourra pas étouffer longtemps sous l'opprobre du "populisme", quand bien même de désolants gaullistes lui viendraient-ils en renfort. Et qu'une fois de plus, pour elle comme pour tant de peuples terrorisés, la France montre l'exemple !

Je suggèrerais enfin que tu aies garde de ne pas transformer ton appel à l'inaction (ou à l'attente de l'action), en soutien objectif au probable candidat Nicolas Sarkozy, dont les partisans seraient ravis de savoir que tu considères comme nocive une candidate qui selon tes mots "porte le risque d'offrir au candidat du principal parti d'opposition une victoire qu'il ne mérite pas"; j'ai trop connu la rhétorique de l''"évitons-le-pire!", pour ne pas t'alerter sur les pentes auxquelles elle mène -ce que nous avons vu, la dissolution du gaullisme dans une pauvre réaction de caste ou de classe. Au reste, tu as trop souvent soutenu Chirac (sans t'y "fondre" pour autant, certes…) pour ne pas savoir qu'il faut rester prudent devant ces calculs et qu'il vaut mieux, si l'on a choisi de se taire et d'attendre, attendre et se taire vraiment.

 Cet ensemble de questions devant être débattu sérieusement, sine ira et studio comme disaient les Romains, je propose que nous le fassions le 26 novembre lors de la convention du RIF -lequel est, bien plus qu'un parti politique, une passerelle, un point de rencontre qui t'est familier et où tu comptes bien des amis et des admirateurs, à commencer par moi. Si notre orientation est prise et définitivement prise, les modalités restent très ouvertes, et à construire -ce que j'aurais aimé faire avec des hommes tel que toi, qui manquerait, tant ta place serait grande, à l'oeuvre de rassemblement populaire, le "rassemblement des Français sur la France" actuellement en cours de formation à travers le pays, et dont on comprendrait mal que toi et tes amis soient les adversaires déclarés.  Je te demande aussi de porter ma réponse à la connaissance des co-signataires de l'appel, MM. Robatel, président du cercle du 29 mai, M.Bugeau, président de l'Union pour la France, ainsi que MM. Robin et Beaudet; et aussi de me croire, mon cher Roland, ton bien amicalement dévoué,


Paul-Marie Coûteaux