Paris - Curieux comme les campagnes présidentielles poussent chaque fois vers les grandes questions -alors qu'on imaginerait plutôt l'action immédiate dévorant tout le temps disponible…. Ainsi en fut-il aujourd'hui lors d'un déjeuner avec Louis Aliot et Gaël Nofri -hélas je ne parviens pas, du coup, à parler de choses concrètes. Mais Louis en est aux grandes questions, et argumente avec beaucoup de conviction sur le caractère propre des grandes civilisations, qui ne se confondent ni avec des races ni avec des cultures; nous nous demandons s'il existe donc une civilisation qui pourrait être dite "civilisation européenne". Désireux d'y voir clair pour moi-même, je veux ici faire le point -que j'adresserai à Louis ainsi qu'à Gaël, et Florian, et peut-être Marine.
Quel est le critère déterminant d'une civilisation ? On peut penser à la race : elle entre assez dans la cosmogonie allemande, ou russe, mais beaucoup moins dans la française -la France s'est surtout pensée comme une construction culturelle et politique. Elle est de toute façon nettement dépassée. On peut aussi songer au critère religieux, qui n'est pas mauvais, et faire de l'Europe un continent chrétien et de sa civilisation une civilisation chrétienne -mais ce critère pose bien des problèmes et pour commencer le fait que la plupart des Chrétiens ne sont plus aujourd'hui européens. Le critère de loin le plus actuel, dans un monde d'échanges, est celui de la langue : aujourd'hui, une civilisation, c'est d'abord une langue…
Or, parler de civilisation européenne supposerait qu'il y ait à terme une seule langue unificatrice, une langue qui serait regardée comme commune avant de devenir unique -tels la monnaie ou le marché devenus uniques. Ce n'est évidemment pas acceptable pour nous. Ce l'est d'autant moins que, en usant du terme de "civilisation européenne", on en viendrait à légitimer un Etat unique qui serait du coup l'expression toute naturelle de cette civilisation unique. Je pense qu'il faut donc parler de "civilisations européennes" au pluriel , -comme l'a fait notre ami Bertrand Dutheil de la Rochère dans son livre "Les Civilisations occidentales". Parler de civilisation française, de Civilisation allemande, de civilisation russe, de civilisation japonaise, chinoise, turque, iranienne, éthiopienne, argentine, états-unienne, etc... Comme l'a dit Marine l'autre jour en revenant du siège de Dexia, c'est justement une vocation de la France que d'opposer sans cesse à la mondialisation ravageuse l'identité de chaque civilisation et la liberté de chaque nation. Nations et civilisations constituent la vraie diversité de l'univers, cette diaprure étant la condition de la liberté du monde -on pourrait dire aussi : de la beauté du monde.
C'est la mission de la France que de rappeler chacun au "devoir d'être soi-même" -justement le sens de la phrase de Paul Claudel, "Ce que chacun peut apporter de meilleur au monde, c'est lui-même". Veine très gaullienne ("la France, évangile des peuples") qui reprend le Clemenceau de 1918 : "Hier soldat de Dieu, aujourd'hui soldat de la liberté, la France sera toujours le soldat de l'idéal". On songe aussi à la phrase de Malraux : "Il existe un pacte plusieurs fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde". Je ne crois pas mauvais de réchauffer un peu le coeur des Français en les prenant ainsi par le haut - leur montrant que dans notre revendication d'identité s'inscrit le vieux projet français, qui est un projet universel; et dans une politique d'ensemble qui est une politique pour le monde.